La musique dégénérée chez les nazis
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La musique dégénérée chez les nazis
Une première explication consiste à dire que la politique de dénonciation, que dis-je, la politique de liquidation de la nouvelle peinture, de la nouvelle musique, cette politique que mène le régime nazi, trouve son explication dans le mauvais goût de ce régime — mauvais goût de ce régime qui trouve, lui-même, son explication dans le mauvais goût de ses dignitaires. On ne manquera pas, à cette occasion, de remettre à tous en mémoire les mésaventures viennoises du jeune Hitler — Hitler qui, peintre du dimanche, a souhaité, en sa jeunesse, peindre toute la semaine — mais sans guère de succès. Dès 1908, on lui enlève toute espérance de faire carrière en cette voie. A la veille de la guerre, je veux dire la première, le jeune peintre raté quitte Vienne ses croûtes invendues sous le bras. De là cette première explication : le régime nazi rejette l’art moderne à cause de ceci que Hitler se venge — ou, à tout le moins, le régime nazi rejette l’art moderne à cause de ceci que Hitler semble bien — tout comme, sans doute, les autres dignitaires — ne rien connaître, pire encore, ne rien comprendre à l’art moderne. En résumé, on ramène ici la politique nazie en matière de peinture ou de musique à une explication toute esthétique ;
on la ramène à une affaire de goût : de mauvais goût, sans doute, oui, mais de goût — tout de même.
Mais cette première explication, cette explication esthétique, semble tout de même un peu simple.
Problème n°1. Aucun doute là-dessus : Hitler a mauvais goût. Hitler a mauvais goût, oui, mais il ne semble pas possible de dire la même chose de tous les dignitaires nazis ;
il ne semble pas possible de faire, de tous ces dignitaires, en tout, de grosses brutes : je veux dire de grosses brutes en toutes choses — y compris en peinture ou en musique. Au contraire. On trouve, au sein de ceux-ci, un petit nombre — très petit, sans doute, mais un petit nombre tout de même de nazis éclairés en ces matières. Göring en représente un cas célèbre — Göring qui se concocte, en guise de butin de guerre, une jolie petite collection de peintres dégénérés — une jolie petite collection de peinture à usage privé. On touche, ici, une première fois, à toute la complexité du phénomène nazi : le même homme, Göring, qui aime les peintres dégénérés, ce même homme, Göring, a collaboré de près au régime qui les a bannis ou assassinés. Expérience troublante que cette complexité ! On trouve, encore, en Goebbels, un autre exemple de celle-ci : un autre exemple de nazi, oui, mais de nazi en un sens éclairé. Goebbels, ministre de la propagande, Goebbels, ministre de la peinture, de la musique, Goebbels, lui qui applique toutes les mesures répressives, que dis-je, lui qui les invente, lui qui les imagine, ce même Goebbels aime nombre de ces choses contre quoi il lutte. Quelles conclusions tirerons-nous de tout ça ? De quelle façon expliquerons-nous cette espèce de scission intime qui pousse ces hommes de goût à se joindre — pire : à défendre, à répandre même, un autre goût ? De quelle façon expliquerons-nous que tout le monde, ici, se rallie, tout au moins de façon officielle, aux vues de Hitler — Hitler qui semble ne rien connaître, ne rien comprendre en matière de peinture ou de musique ? Devons-nous y voir l’expression de la volonté de lui faire plaisir ? Devons-nous y voir l'expression de la nécessité de lui obéir ? Il y a de ça — sans doute. Mais ça ne semble pas être une explication suffisante à comprendre cette scission tout de même étonnante : sans doute, aussi, il y a autre chose. Cette expérience — cette expérience troublante de la complexité nazie — cette expérience, dis-je, semble remettre en cause la validité de la seule explication esthétique : tout se passe, ici, comme si, aux côtés du critère esthétique, se trouve encore un autre critère — un critère tout aussi impérieux. Afin de mieux le comprendre, examinons le problème n°2.
Problème n°2. Revenons un peu à la catégorie elle-même de musique dégénérée. Répétons ce que celle-ci désigne : la musique dégénérée désigne la musique atonale de la Nouvelle Ecole de Vienne, le jazz, la musique prolétarienne. Oui. Mais pas que ça ! Je vais prendre un exemple. Au sein de la liste noire — la liste noire où on trouve le nom de tous les musiciens bannis, le nom de tous les musiciens considérés comme dégénérés — au sein de cette liste, dis-je, on trouve aussi le nom de BRAUNFELS. A quoi ressemble la musique BRAUNFELS ? Né en Allemagne, en 1882, BRAUNFELS compose une musique où l’influence du classicisme viennois se mélange à l’influence du romantisme wagnérien. L’opéra Les Oiseaux, représenté à MUNICH en 1920, présente de ce mélange l’équilibre abouti… En un sens, la musique de BRAUNFELS se rapproche assez de la musique de STRAUSS. En tant que musicien, BRAUNFELS, tout comme STRAUSS, semble, en conséquence, correspondre au mieux aux critères nazis : il compose une musique de qualité ;
mais il ne compose pas une musique nouvelle : au moins en comparaison de ses contemporains Schönberg ou Berg. Néanmoins, comme eux, BRAUNFELS, se retrouve, en 1933, mis au pilori. A cause de quoi ? Il y a, je crois, deux raisons. La première tient à ce que BRAUNFELS a jadis refusé de mettre en musique une chanson nazie. Ca les a vexé ! Mais il y a une deuxième raison — une deuxième raison qui semble être la raison profonde : je veux dire : les origines juives de BRAUNFELS — ou plutôt : ses origines demi-juives. Faute suffisante à se faire exclure de la vie musicale au sein de ce régime antisémite ! Oui : à cause de ces origines, à cause de ces origines lointaines, le pauvre BRAUNFELS, lui qui compose une musique à la STRAUSS, lui que ne tente ni la musique atonale ni le jazz, le pauvre BRAUNFELS, dis-je, se trouve ici rangé du côté de la musique dégénérée.
François Coadou
Pour le texte dans son ensemble
Re: La musique dégénérée chez les nazis
Septon a écrit:Quelle philosophie...
va voir le lien, lis le texte en entier.....
Re: La musique dégénérée chez les nazis
Septon- Légat de légion
Re: La musique dégénérée chez les nazis
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