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Critique du livre de Massimo Introvigne

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Critique du livre de Massimo Introvigne Empty Critique du livre de Massimo Introvigne

Message par  Mar 26 Avr 2005 - 21:29

L'Enquête sur le satanisme de Massimo Introvigne



Une critique




© Benjamin-Hugo Leblanc (le lien pour consulter son cv)

http://hermogene.free.fr/cv.htm







De Satan au satanisme



Satan a toujours constitué, pour la théologie chrétienne, une difficulté doctrinale. D’abord parce qu’il provient d’un ensemble de sources différentes qui supposent un réseau complexe d’influences et d’emprunts ;
mais aussi parce qu’on ne peut pas le décrire en lui-même, puisqu’il n’existe que par une relation d’opposition. Dans un premier temps, l’Ancien Testament emploie le terme comme nom commun précédé d’un article – le Satan – qualifiant celui qui accuse et s’oppose ;
il ne devient un nom propre – celui d’un adversaire de Dieu – qu’à partir des Chroniques, lesquelles en font un protagoniste dans le dénombrement du peuple d’Israël par le roi David et, par le fait même, une cause des malheurs qui s’ensuivent. Mais il nous faut reconnaître qu’il se fait discret, relégué au second plan. En revanche, le Nouveau Testament, qui témoigne d’une influence de la littérature apocryphe sur les premières communautés chrétiennes, accorde au personnage un rôle beaucoup plus important, et précise davantage ses contours. Ce qui n’empêche pas que l’illustre Satan demeure, en définitive, un parfait inconnu ;
il ne fait, dans la Bible, l’objet d’aucune doctrine systématique, et ne prend son sens que dans la relation qu’il entretient avec Dieu, ainsi que dans une logique de la Rédemption. Pour cette raison, on ne peut le considérer comme un principe autonome. Cette idée d’un Satan subordonné à la Toute-Puissance divine – puisqu’il n’est qu’une créature, et non un principe incréé –, se retrouvera d’ailleurs dans la condamnation des hérésies dualistes, formulée par le IVe concile de Latran.



Comment, dès lors, appréhender un concept comme celui de "satanisme" ? N’y a-t-il pas, dans ce mot, une imprécision et un caractère évanescent qui sont l’apanage même, encore aujourd’hui, de Satan ? L’anonymat et le secret qui enveloppent ses supposés "disciples" à travers les siècles, ainsi que le flou des rituels ne reflètent-t-ils pas cette part d’ombre, de mystère et de merveilleux qui voile depuis toujours l’adversaire de Dieu ? En d’autres termes, peut-on évoquer l’idée d’un satanisme en soi, si Satan ne peut être compris en lui-même ? Une recherche portant sur le "satanisme" considéré comme fait historique comporte donc, selon nous, des problèmes de méthode qu’il peut s’avérer ardu de résoudre.



Le professeur Massimo Introvigne a pourtant bel et bien tenté de relever le défi, dans une étude fort documentée de 430 pages, publiée en 1994 aux éditions Arnoldo Mondadori. Intitulé Indagine sul Satanismo, l’ouvrage propose ni plus ni moins qu’une histoire du satanisme, comprise entre le XVIIe et le XXe siècle inclusivement. Un projet pour le moins ambitieux, puisqu’il ne compte aucun précédent sérieux. Certes, de nombreux chercheurs se sont abondamment intéressés à la figure du diable ou de Satan, et en ont esquissé une histoire ;
mais leurs préoccupations ont fort peu à voir avec un satanisme en soi. En ce sens, Introvigne, hormis quelques tentatives plutôt malheureuses d’auteurs à sensations, demeure l’un des premiers à se pencher avec rigueur sur la questions.



Ce caractère novateur a certainement contribué à l’intérêt qu’a suscité l’ouvrage. Mais convenons également que le contexte social ne pouvait alors se prêter qu’à une réception favorable d’une telle étude ;
l’Amérique venait en effet d’assister, au cours des années 1980, à une pléthore d’accusations portées à l’encontre de supposés "satanistes", lesquelles avaient mobilisé de nombreuses ressources médiatiques, judiciaires, médicales, et universitaires. Par ailleurs, les événements tragiques de Waco et de l’Ordre du Temple Solaire devaient conférer à la controverse entourant les nouvelles "sectes" religieuses, pour la décennie suivante, une ampleur renouvelée. L’Enquête sur le satanisme rejoignait donc de vives préoccupations ayant alors largement cours, tant dans les milieux savants que dans le public en général.



Une traduction française, destinée à l’ensemble du marché francophone, parut chez Dervy en 1997. C’est à cette édition, revue et légèrement augmentée, que nous nous référons pour la critique qui suit. Précisons d’emblée que nous ne désirons porter aucun jugement sur le travail effectué par M. Introvigne ;
nous nous y sommes d’ailleurs référé à plusieurs reprises, notamment pour l’élaboration de notre mémoire de D. E. A., déposé à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Le présent texte ne cherche qu’à formuler quelques interrogations qui nous sont venues à la lecture du texte, et qui invitent peut-être à un approfondissement ultérieur.







* * *







1. Les thèses de l’auteur



En guise d’introduction, M. Introvigne insiste sur la distinction qui sépare – selon lui – les grands thèmes de possession, de sorcellerie, et de satanisme, tout en soulignant en quoi ils ont pu être associés les uns aux autres, à différentes époques, tant par le clergé que par les acteurs directement concernés. Poser ainsi ces différences constitue déjà un premier pas vers une définition du satanisme, que l’auteur précise aussitôt par "(…) l’adoration ou la vénération, de la part de groupes organisés sous la forme de mouvements, à travers des pratiques répétées de type cultuel ou liturgique, du personnage appelé, dans la Bible, Satan ou le diable." Ainsi identifié et délimité, l’objet peut désormais être situé historiquement. C’est ce à quoi s’emploie M. Introvigne, en divisant au préalable son étude en trois périodes qui correspondent, chacune, à un développement sensible du satanisme.



La première couvre les XVIIe et XVIIIe siècles. Ceux-ci auraient été le théâtre d’événements retentissants et d’épisodes ponctuels constituant un "dépôt de matériaux" dont se seraient ensuite inspirés les siècles ultérieurs. Il s’agirait donc, en quelque sorte, des "origines du satanisme". On accorde notamment une attention particulière à Catherine La Voisin et ses acolytes, qui pratiquaient à Paris des "messes noires" ;
à certaines déviations du quiétisme italien ;
aux activités prétendument sataniques de Sir Francis Dashwood, à Medmenham ;
et à la fascination qu’a exercé le Satan miltonien sur la gent intellectuelle russe.



La période suivante est celle du satanisme classique, qui s’étend de 1821 à 1952. Alors qu’on ne pouvait parler, précédemment, que de "prologue" au phénomène, on voit au XIXe siècle se développer "un véritable mouvement social, petit et clandestin mais non insignifiant, surtout en France et en Belgique, avec des percées dans d’autres pays." L’auteur introduit ici un modèle cyclique en trois phases qu’il applique, comme "grille explicative", aux événements jalonnant cette seconde période. Selon ce modèle, il y aurait d’abord constitution initiale de mouvements satanistes, lesquels gagneraient en ampleur et en notoriété jusqu’à ce qu’une riposte antisataniste les dénonce ;
mais, incapables d’identifier clairement l’adversaire et discrédités par les révélations mirobolantes de supposés satanistes repentis leur servant de témoins, les antisatanistes céderaient le pas à une recrudescence de satanistes, désormais libres d’œuvrer à leur guise. Aussi, la première phase du satanisme classique nous est rapportée par les enquêtes journalistiques de Jules Bois (1868-1943) et le roman Là-Bas (1891) de Joris-Karl Huysmans (1848-1907) – tous deux intéressés par le phénomène des petites églises, dont celles d’Eugène Vintras (1807-1875) et de Joseph-Antoine Boullan (1824-1893). Huysmans, en publiant son ouvrage, aurait par ailleurs contribué à la réaction des antisatanistes, laquelle culmine dans les fausses accusations – et la mystification – de Léo Taxil (pseudonyme de Marie-Joseph-Antoine-Gabriel Jogand-Pagès, 1854-1907). Cette fraude, exposée au grand jour en 1897, jette alors un discrédit sur la mouvance antisataniste, et coïncide – toujours selon l’auteur – à un regain d’intérêt pour le satanisme, mais qui demeure désormais souterrain ;
un personnage comme Aleister Crowley (1875-1947) fournit quelques matériaux pour la période suivante – bien qu’Introvigne ne le classe pas parmi les satanistes stricto sensu –, cependant que Maria de Naglowska (1883-1936) se réunit avec ses fidèles dans un "Temple Satanique" à Paris, et que Jack Parsons (1914-1952) – un membre de l’Ordo Templi Orientis de Crowley – affirme incarner Belarion l’Antichrist. La période classique du satanisme prendrait ainsi fin avec la mort de Parsons, personnage transitoire qui se situe au seuil d’un troisième développement historique du phénomène.



Or, jusqu’ici, les satanistes se seraient inspirés d’images véhiculées principalement par les antisatanistes. Mais avec l’avènement de ce que M. Introvigne nomme le satanisme contemporain – qui débute réellement avec la fondation, en 1966, de l’Église de Satan à San Francisco par Anton Szandor LaVey –, on assiste à une auto-revendication consciente et publique. Ici encore, l’auteur applique son modèle cyclique triphasé. Une médiatisation de l’Eglise de Satan aurait d’abord contribué au développement – tout au long des années 1970 – de nombreux groupes au credo plus ou moins semblable. Puis, dans un contexte lié à une réplique sociale à l’encontre les nouvelles "sectes" religieuses, s’organise au début des années 1980 une dénonciation virulente d’abus rituels sataniques ;
tout comme pour les accusations portées à l’encontre des "sectes", on en vient à évoquer l’existence de complots – ou même d’un "méga-complot" – ourdis par les satanistes. Ceux-ci se font alors plus discrets ;
mais dès la fin de la décennie, cette "panique" s’essouffle : les exagérations des témoignages et les accusations sans fondement ni évidences sèment le doute ;
ce qui profite notamment à LaVey, lequel effectue aussitôt un retour en force.



Satanisme classique et satanisme contemporain présenteraient donc cette même dialectique de forces opposées qui se répondent l’une l’autre, respectivement déterminées par des contradictions générées dans la culture occidentale, et par un refus social – plus ou moins conscient – de prendre acte de ces mêmes contradictions. En somme, l’ouvrage d’Introvigne présente deux types d’informations qu’il importe de distinguer : d’un côté, un ensemble d’événements historiques, abondamment documentés ;
et de l’autre, une mise en forme – ou en système – de ces faits, afin d’identifier un mécanisme plus fondamental auquel ils répondent. Aussi, quoique l’aspect factuel du discours de l’auteur dénote une grande érudition – et en cela confère au texte une valeur incontestable –, l’aspect plus théorique nous semble présenter, pour sa part, certaines faiblesses. Il en est deux que nous désirons ici souligner en particulier.







2. Quelques problèmes d’ordre méthodologique



a. Le "satanisme" : une notion controversée



Rappelons que, selon l’auteur, le satanisme suppose trois conditions cardinales, à savoir :

(1) une adoration ou une vénération de Satan ;


(2) un groupe organisé en mouvement ;
et (3) une pratique de type cultuel ou liturgique. On peut donc y voir, en quelque sorte, une inversion de la symbolique et du culte chrétiens. Cette définition est bien entendu aussi valable qu’une autre ;
la question qui se pose toutefois à l’historien est celle d’une adéquation avec les faits. En d’autres termes, un tel "satanisme" trouve-t-il vraiment une application concrète dans l’histoire ? Cette interrogation nous semble capitale puisque M. Introvigne s’attarde à une kyrielle d’événements qui, bien que très intéressants, ne semblent pas toujours en résonance avec sa définition initiale. Or, lui-même ne l’ignore pas ;
il admet en effet que les protagonistes de l’affaire La Voisin – si ce qu’on en sait s’est réellement produit – ne vénéraient pas vraiment Satan, mais l’instrumentalisaient à des fins essentiellement sonnantes et trébuchantes ;
que les faits entourant les fameuses "messes noires" de Reggio vers 1770 sont incertains ;
que les informations ayant circulé à propos de la salle capitulaire à Medmenham nous viennent essentiellement de deux auteurs – Charles Johnstone (1719-1800) et John Hall Stevenson (1718-1790), dont le premier ne fit d’ailleurs jamais partie des "franciscains" ;
et enfin, qu’une réelle praxis satanique liturgique à la fin du XIXe siècle nous est surtout décrite par Bois et Huysmans, et qu’on doit aborder ces textes avec circonspection. Devant tant d’incertitudes, force est de reconnaître qu’il n’y a matière, pour le moment, qu’à conjectures, et que le "satanisme" tel que défini par M. Introvigne demanderait encore à être historiquement exemplifié. Car même la dialectique Dieu-Satan de Maria de Naglowska, ainsi que sa magie sexuelle, ne peuvent être proprement taxées de sataniques – l’emploi qu’elle faisait elle-même de ce mot était tout autre que celui de l’auteur –, et Anton LaVey, qui a déjà affirmé ne pas croire au diable, évoque davantage Satan par souci métaphorique, afin de désigner ce qui se révèle n’être – en définitive – qu’un culte de l’ego souverain.



Aussi, ce que suggère, à notre avis, cette inadéquation entre l’idée du satanisme comme inversion complète des valeurs chrétiennes d’une part, et les faits historiques d’autre part, c’est avant tout la présence d’une représentation fictive issue du discours religieux. En effet, le satanisme tel que défini par M. Introvigne ne nous apparaît pas tant comme un fait historique en soi, que comme une opposition virtuelle à la tradition judéo-chrétienne, et formulée par celle-ci. On peut dès lors se demander si l’auteur ne glisse pas, insensiblement, du construit de facture religieuse et culturelle au construit académique. Ce qui nous mène à considérer deux options de rechange : soit nous tentons d’élargir la notion de satanisme afin de lui donner une valeur moins réductrice et plus opératoire, soit nous en abandonnons définitivement l’usage, au profit d’autres concepts plus adéquats – ce qui, bien entendu, n’invalide en rien une histoire du mot ou de l’idée même de satanisme.



Constatons, à ce chapitre, que le terme possède déjà une acception particulière en littérature – soit un courant, au XIXe siècle, qui réhabilitait la figure de Satan, ou modelait à son image des héros révoltés. Ces textes, qui ont notamment pour auteurs Schiller, Byron, Vigny, Borel, Baudelaire, Hugo et Barbey d’Aurevilly, partagent suffisamment de traits communs pour constituer une catégorie en soi qui ne se réduit pas à une autre. Or, il est de notre avis qu’une définition similaire pourrait tout aussi bien s’appliquer à un satanisme philosophique ou religieux. En effet, si La Voisin, Maria de Naglowska et Anton LaVey ne vénèrent pas explicitement Satan pour sa seule gloire, ils magnifient néanmoins son rôle et ses pouvoirs, ou du moins s’en inspirent afin d’exprimer une revendication de la révolte. En ce sens, il devient justifié d’insérer ces individus dans une histoire du satanisme – mais d’un satanisme compris dans un sens large. Il ne s’agit plus alors de démontrer l’existence d’une pratique cultuelle ou liturgique ayant "corps" dans l’histoire, mais de regrouper – sous une même catégorie – des représentations individuelles ou collectives qui ont eu cours et au centre desquelles se trouve le personnage de Satan. Or, remarque importante, c’est justement dans cette seconde optique que semble avoir été rédigé l’ouvrage de M. Introvigne, ce qui explique manifestement l’effet contrastant de son contenu avec la définition initiale.







b. La relation dialectique entre satanistes et antisatanistes



Substantifier le satanisme comme praxis mène l’auteur à distinguer deux factions opposées : les satanistes et les antisatanistes. Non seulement, selon lui, se livrent-ils une guerre impitoyable, mais – nous l’avons vu – prennent place à tour de rôle à l’avant-scène de l’échiquier, l’un cédant immanquablement le pas à l’autre. Ce système hypothétique, qui trouve son parti aussi bien au XIXe qu’au XXe siècle, peut à prime abord paraître séduisant ;
il fait montre d’une certaine esthétique dialectique et possède l’avantage d’être simple. Mais peut-être se révèle-t-il, justement, trop simple.



Il est clair qu’on a tenu des propos visant à réhabiliter la figure de Satan, et qu’on a même pu bâtir des cérémonies ou des rituels au cours desquels il lui était accordé une attention importante. D’autres, au contraire, se sont présentés comme ses pourfendeurs, affirmant parfois avoir été les victimes des forces du mal ou de leurs disciples. Pourtant – et bien que cela puisse paraître surprenant –, rien ne nous laisse croire que les uns et les autres se sont réellement affrontés, ou même seulement opposés. Car si l’on s’attarde avec attention aux allégations et accusations des "antisatanistes", on constate qu’elles ne s’adressent pas – la plupart du temps – à ceux qui auraient forcément dû attirer leur attention, mais à des représentations fictives qui mettent en jeu une inversion complète des valeurs sociales : pour Jean-Baptiste Fiard (1736-1818) et Jean Wendel Wurtz (1760-1826), sont disciples du diable des personnes qui ne se qualifient pas comme telles ;
de même pour les catholiques Jules Eudes de Mirville (1802-1873), Henri-Roger Gougenot des Mousseaux (1805-1876) et Joseph Bizouard (1797-1870) – Gougenot affirmant même qu’il existe des satanistes qui s’ignorent ! Léo Taxil, quant à lui, élabore une théorie du complot qui se révèlera plus tard n’être qu’une honteuse supercherie ;
et, comme l’a déjà souligné notre collègue Marco Pasi, la vague de dénonciation antisataniste, qui devint endémique dans les années 1980 aux Etats-Unis, n’a ciblé que très accessoirement des groupes visibles ayant pignon sur rue – comme l’Eglise de Satan de LaVey ou le Temple de Seth de Michael Aquino –, se préoccupant davantage de "satanistes" anonymes, insaisissables et tout-puissants, infiltrant aussi bien des produits culturels diffusés à grande échelle, comme la musique rock, que l’intimité même des demeures la nuit venue.



Ce dernier point est particulièrement révélateur, si on prend la peine de le replacer dans un contexte large. En effet, il est essentiel – selon nous – d’aborder le problème de la vague antisataniste des années 1980 parallèlement à l’escalade de discours "victimisants", à la même époque, et qui ont porté sur des abus rituels sexuels ou, même, d’origine extraterrestre. Pour chacun de ces scénarios – qui mettent en scène une persécution répétée du parent, du sataniste ou d’une entité d’outre-espace –, une même structure du récit semble, dans bien des cas, se profiler. Aussi, on en revient à notre première critique de l’ouvrage de M. Introvigne, énoncée plus haut, puisque notre approche de la vague antisataniste des années 1980 ne voit pas tant un mouvement qui s’oppose à un satanisme en soi, qu’une tendance sociale beaucoup plus vaste qui récupère des représentations de Satan, adaptées sur mesure au rôle qu’on désire leur faire jouer. Les conclusions de l’agent spécial du FBI Kenneth V. Lanning vont d’ailleurs en ce sens : les rumeurs impliquant des sacrifices humains, l’infiltration de jardins d’enfants et des milliers d’homicides ou d’enlèvements par des disciples du diable, n’ont pu être positivement authentifiées au cours de sa longue enquête.



En bref, les vagues d’antisatanisme pourraient donc constituer autre chose qu’une réponse à une diffusion de satanisme. Il en va, par ailleurs, de même pour le soi-disant "retour" des satanistes – troisième phase du modèle cyclique de M. Introvigne. Ne prenons que l’exemple d’Anton LaVey, qui se fait entendre de nouveau au début des années 1990. Peut-on vraiment y voir une conséquence du discrédit et du "déforcement" dont souffre alors la mouvance antisataniste ? Cela paraît beaucoup trop simple. Encore un fois, il nous faut replacer le phénomène dans son contexte ;
se développe en effet, à cette époque, un intérêt culturel général pour ce qu’on pourrait appeler une imagerie "gothique". Le vampire devient une figure omniprésente au cinéma ;
les jeux de rôle – si populaires auprès des jeunes gens – exploitent le cauchemardesque à la H. P. Lovecraft ;
et le noir se fait omniprésent dans l’industrie du vêtement et du maquillage. Il nous semble indubitable que LaVey a su profiter d’une telle tendance de masse, qui s’est d’ailleurs plus largement répandue en Amérique qu’en Europe.



A partir de ces observations, on peut désormais inférer qu’il n’y a peut-être pas lieu d’évoquer une réelle relation dialectique entre satanistes et antisatanistes. Ce qui, par extension, ne justifie plus un modèle cyclique d’alternance entre ces deux mouvements, et fait place à la possibilité d’une cohabitation des différentes représentations de Satan à une même époque, lorsque – pour des raisons complexes qu’il reste encore à clairement identifier selon les cas – un contexte social se prête davantage à leur exploitation. Il n’est donc plus question d’opposition, mais de continuité ;
en quoi, notamment, les scénarios de persécution des années 1980, et une "mystique" gothique du noir à la décennie suivante, sont-ils liés ? On le voit bien, de telles interrogations nous éloignent de l’étude d’un satanisme en soi. Mais ne faut-il pas y voir, justement, le problème méthodologique que sous-tend l’emploi d’un tel construit dans une analyse qui se veut, avant tout, historico-critique ?







* * *







En guise de conclusion



Explication indispensable à la présence du Mal pour une religion où le dieu fait figure de Bien absolu, le Satan chrétien devient l’Autre, dans un Ailleurs qui représente l’interdit. Il demeure ainsi voilé, camouflé par l’incommensurabilité de tout ce que nous réprouvons, et parfois désirons. Or, ce sont justement sous ces traits que se révèle les "satanistes" de Fiard, Wurtz, Gougenot, ou Taxil ;
c’est ce portrait qui nous est parvenu – et qui persiste encore aujourd’hui – dans la culture populaire. Ironiquement, ce sont en majeure partie les "antisatanistes" qui l’ont forgé ;
ce qui, tout compte fait, n’a rien de surprenant puisque le Mal – pour peu qu’il ne soit euphémisé par une quelconque revendication révolutionnaire – se retrouve toujours chez le voisin, et jamais chez soi. En ce sens, Satan est polymorphe, fluide ;
il adopte les formes qu’on veut bien lui prêter. De même en va-t-il pour nos représentations fuyantes du "satanisme".

Les deux problématiques abordées dans cette critique sont intimement liées. En effet, c’est d’abord en substantifiant le satanisme que l’auteur en vient ensuite à son modèle dialectique d’opposition. Ce qui illustre fort bien l’importance d’une définition solide, préalable essentiel à l’élaboration de toute théorie. En se reportant plutôt à l’outil conceptuel de représentations, M. Introvigne aurait pu se concentrer sur une histoire du construit religieux et laïque de l’idée de satanisme, ce vers quoi tend déjà – de toute façon – son ouvrage.



Néanmoins, la somme d’événements et de références qu’il rassemble constitue indéniablement une riche et érudite contribution à la recherche dans le domaine, ainsi qu’une source incontournable pour qui veut se documenter sérieusement sur le sujet. Il fallait bien un chercheur de cet acabit pour baliser un terrain encore pratiquement vierge ;
il reste à espérer que, dans la foulée, d’autres s’y aventureront.
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Message par  Mer 27 Avr 2005 - 13:50

Tiens marrant c'est une critique que j'ai lu bien avant de lire cet ouvrage.



Ce bouquin est le seul ouvrage sérieux sur le satanisme avec une documentation bibliographique et un travail de sources proprement hallucinant.

L'historien des religions est un peu controversé c'est d'ailleurs lui qui me disait par mail que la Wicca est aujourd'hui la première religion des USA en terme d'affiliations grâce à Charmed (la série sur M6 ).



POur lui également, M. Manson n'a jamais été nommé officiellement prêtre de l'Eglise de Satan.
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Message par  Mer 27 Avr 2005 - 19:09

...à noter que l'auteur de cette critique à eu pour tuteur de son DEA, Mr Antoine Faivre enseignant à la Sorbonne et...directeur du CESNUR France et aussi directeur de la Bibliothèque de l'Hermétisme (editeur du livre en France)!



Le problème de Massimo Introvigne, bien qu'il soit compétent dans son domaine, c'est une certaine vision subjective et théologique qui transparait dans son ouvrage, et non laïque. La trop grande importance accordé à l'anti-satanisme montre son attachement à définir le Satanisme selon des critères propre à L'Eglise, surtout ceux de l'Opus Deï, et son habileté a justifier l'occultisme nazi (sic!) du Temple de Set et son système théologique, son insistance sur le "darwinisme social" de la nouvelle CoS arrange bien sa vision politique personnelle qu'il partage avec Christian Bouchet.

Alors certes son livre a le mérite de présenter pour la première fois des sources sérieuses, cependant la lecture qu'il en fait me semble sujette à caution pour un travail universitaire surtout sur le satanisme contemporain sauf concernant la partie sur l'anti-satanisme. Pour ma part, ce livre ne m'a rien appris sur l'histoire du satanisme contemporain, Introvigne survole le sujet en tombant parfois dans la désinformation la plus totale (notamment sur Paul Douglas Valentine). A noter qu'un autre ouvrage du même genre est sortit en 1999, Lucifer Rising de Gavin Baddeley, cette fois ci du point de vue de la CoS, l'analyse en est tout aussi biaisée.



...en effet MM n'a jamais été nommé médiatiquement par la CoS, mais il est bien prêtre de l'Eglise de Satan et nommé tel par LaVey. Depuis 1966, il faut savoir que tous les prêtres ne sont pas automatiquement nommés officiellement. En réalité, MM n'a jamais apprécié Barton &
sa clique de "LaVeyan cultist", il a d'ailleurs pris ses distances avec la CoS, seul Anton LaVey, l'homme, et sa pensée intéressait Manson.
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Message par  Jeu 28 Avr 2005 - 8:17

Ravensorg a écrit:En réalité, MM n'a jamais apprécié Barton &
sa clique de "LaVeyan cultist", il a d'ailleurs pris ses distances avec la CoS, seul Anton LaVey, l'homme, et sa pensée intéressait Manson.

Il est certain que cette dernière est plus intéressante que tout le système économico-médiatique qui est venu se greffer dessus depuis...
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Message par  Jeu 28 Avr 2005 - 10:49

ce livre semble intéressant en effet.

je crois que je vais me l'acheter.

merci pour les infos et ta critique Ravensorg.
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Message par  Ven 29 Avr 2005 - 14:25

Ravensorg a écrit:...à noter que l'auteur de cette critique à eu pour tuteur de son DEA, Mr Antoine Faivre enseignant à la Sorbonne et...directeur du CESNUR France et aussi directeur de la Bibliothèque de l'Hermétisme (editeur du livre en France)!



Le problème de Massimo Introvigne, bien qu'il soit compétent dans son domaine, c'est une certaine vision subjective et théologique qui transparait dans son ouvrage, et non laïque. La trop grande importance accordé à l'anti-satanisme montre son attachement à définir le Satanisme selon des critères propre à L'Eglise, surtout ceux de l'Opus Deï, et son habileté a justifier l'occultisme nazi (sic!) du Temple de Set et son système théologique, son insistance sur le "darwinisme social" de la nouvelle CoS arrange bien sa vision politique personnelle qu'il partage avec Christian Bouchet.

Alors certes son livre a le mérite de présenter pour la première fois des sources sérieuses, cependant la lecture qu'il en fait me semble sujette à caution pour un travail universitaire surtout sur le satanisme contemporain sauf concernant la partie sur l'anti-satanisme. Pour ma part, ce livre ne m'a rien appris sur l'histoire du satanisme contemporain, Introvigne survole le sujet en tombant parfois dans la désinformation la plus totale (notamment sur Paul Douglas Valentine). A noter qu'un autre ouvrage du même genre est sortit en 1999, Lucifer Rising de Gavin Baddeley, cette fois ci du point de vue de la CoS, l'analyse en est tout aussi biaisée.




Faivre dont j'ai assisté à plusieurs de ses cours à l'EPHE a aussi soutenu des mouvements sectaires...Difficile dans ces milieux de n'avoir rien à reprocher aux intellectuels. :? Par contre Introvigne qui est pourtant catholique conservateur, a une définition complètement sociologique et ciblée histoire culturelle Ravensorg, je ne vois pas où tu vois l'Opus Dei. C'est d'ailleurs ce qui fait tout l'interêt du livre. Le seul problème serait qu'il emploie "je" parfois et qu'il donne son avis ce qui errode un peu trop sa rigueur scientifique.



>
>
En guise d’introduction, M. Introvigne insiste sur la distinction qui sépare – selon lui – les grands thèmes de possession, de sorcellerie, et de satanisme, tout en soulignant en quoi ils ont pu être associés les uns aux autres, à différentes époques, tant par le clergé que par les acteurs directement concernés. Poser ainsi ces différences constitue déjà un premier pas vers une définition du satanisme, que l’auteur précise aussitôt par "(…) l’adoration ou la vénération, de la part de groupes organisés sous la forme de mouvements, à travers des pratiques répétées de type cultuel ou liturgique, du personnage appelé, dans la Bible, Satan ou le diable."[7]
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Message par  Sam 30 Avr 2005 - 0:06

tu ne vois pas l'Opus Dei?...je précise alors:



- révisionisme sur l'inquisition, stigmatisation des laiques et des protestants...voici un exemple de l'habileté d'Introvigne à mêler propagande et faits historiques.

"...certes, il ne fait aucun doute que la mécanique des procès de l'époque _ où d'ailleurs les autorités laïques (sic) se montraient souvent bien plus sévères que l'Inquisition écclésiastique, les prostestants étant en général plus crédules que les catholiques _ donna lieu à des aveux faux ou éxagérés."page 21.



- mis en valeur dans chaque époque historique décrite, des penseurs catholiques.



- accréditation d'une vérité sous-jacente chez Huysmans, ce qui lui évite de conclure que les soi-disants "satanistes" de l'époque étaient dans les faits uniquement des curés décadents.(cf Vintras, Boullan)



- critique du Satan prométhéen de Marx et de ses valeurs de liberté et d'égalité, curieusement sur ce sujet du mythe prométhéen aucune référence à la mythologie apocryphe du diable (Lucifer) il est vrai tres embarassante pour la doctrine de l'Eglise.



- definition du satanisme dans un seul sens : liturgique ou para-liturgique (kesako!? "para" exprimant soit "à coté de" soit "protection contre")
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