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Les chrétientés celtiques

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Message par Necrowarrior Jeu 18 Mai 2006 - 19:57

[size=150]Les chrétientés celtiques[/size]

Christian Guyonvarc'h

Professeur émérite à l'université Rennes II



On désigne par l'expression « chrétientés celtiques » la forme particulière de christianisme qui s'est développée dans les pays celtiques pendant tout le haut Moyen Âge – laquelle commence en Irlande avec saint Patrick en 432 et se termine officiellement en Bretagne à Landévennec en 818 ;
mais cette fin est toute théorique. Même réintégré dans le cadre rigide de l'Église catholique ou dans celui, plus strict encore, des Églises protestantes, le christianisme celtique garde une profonde originalité, marquée en Irlande par le culte de saint Patrick et de sainte Brigitte et, en Bretagne, par celui de saint Yves et de sainte Anne. Subsistent en outre quelques traces de paganisme contre lesquelles l'Église a toujours été impuissante. Pour bien comprendre la spécificité de ce christianisme, nous nous sommes adressés à Christian Guyonvarc'h, directeur de la collection « Connaissance des langues celtiques » aux éditions Armeline.



Un christianisme original, de par la civilisation où il s'implanta



Ce n'est pas une hérésie : Irlandais et Bretons – des deux côtés de la Manche – ont assez prouvé la sincérité de leurs sentiments et toujours fait de leur mieux pour demeurer dans l'orthodoxie chrétienne. Mais il y avait, dès le départ, une opposition de structure insurmontable : le christianisme s'est d'abord organisé et développé dans le cadre administratif, essentiellement urbain, de l'Empire romain. Or, la Bretagne insulaire n'a été romanisée que très partiellement et superficiellement, cependant que l'Irlande n'a jamais été occupée par les légions. La civilisation celtique est essentiellement rurale, dépourvue d'agglomérations importantes : le breton kèr « hameau », de même que le gallois caer, sont des emprunts au latin castra, et l'irlandais baile « ville » ne signifie en fait que « village ». Le centre de la vie religieuse n'était pas l'évêché mais le monastère, dont le père abbé faisait en même temps fonction d'évêque. Les Irlandais ont privilégié aussi la vie cénobitique et les traces des ermitages sont innombrables, témoignages d'une vie religieuse intense et profonde. Cependant les monastères, en particulier celui de Iona, ont été longtemps riches et prospères, avec des scriptoria et des écoles ouvertes aux étrangers. La christianisation a eu au moins pour conséquence d'ouvrir l'Irlande à des influences étrangères, bretonnes de Grande-Bretagne et continentales directes. N'oublions pas que saint Patrick porte un nom breton et avait, paraît-il, appris le gaélique au cours d'un long séjour en Irlande après avoir été enlevé par des pirates. Il aurait été le porcher d'un druide nommé Miliuc. Il est plus que probable que la légende hagiographique patricienne ne repose sur aucun fondement historique réel. Mais ce qui importe en l'occurrence, c'est que dans l'administration royale irlandaise, le porcher était un haut fonctionnaire. En fait, une grande partie du vocabulaire de la chrétienté irlandaise est un emprunt au latin par l'intermédiaire du brittonique. Et saint Patrick est en même temps le premier des saints historiques et le dernier des druides mythiques de l'Irlande, cependant que sainte Brigitte, qui aurait vécu vers le Ve siècle de notre ère et dont le folklore est resté très longtemps vivant, est aussi et surtout, le nom de la principale déesse préchrétienne des anciens Gaëls.



Un christianisme qui a introduit écriture et littérature



On peut dire sans exagération que la conversion au christianisme a été l'événement majeur de l'histoire d'Irlande, non pas tant à cause de la religion elle-même et des évolutions qu'elle a provoquées, là comme ailleurs, dans les mentalités, mais de par l'introduction de l'écriture dans un pays de tradition orale, où le bref texte écrit était destiné à la magie. Le christianisme est en effet une religion et une culture du livre et les Irlandais, convertis à l'appel de saint Patrick, ont appris le latin liturgique puis, ayant appris en même temps l'écriture, se sont mis, très tôt, à écrire en gaélique. Ce sont les druides et les filid – ou « poètes » – qui ont fourni le premier personnel sacerdotal. La conversion a été très rapide. Selon toute vraisemblance, il n'y eut pas d'opposition et ce sont des textes tardifs qui inventent, maladroitement le plus souvent, quelques mauvais druides. La conversion, totale, s'est faite par le haut : les premiers convertis par saint Patrick ont été le roi et la cour de Tara.



La première conséquence a été l'apparition d'une littérature, religieuse d'abord, en latin et en gaélique, puis la mise par écrit des vieilles légendes nationales. Mais les plus anciens témoignages de l'existence de l'irlandais, dus à des moines, proviennent du VIIe siècle et sont des gloses dispersées dans toute l'Europe. La plus ancienne homélie irlandaise, datée de 636, est à la bibliothèque municipale de Cambrai, cependant que les principales gloses du vieil irlandais sont à Saint-Gall en Suisse, à Milan en Italie et à Würzburg en Allemagne. Elles ont été rédigées par des moines qui avaient fait le vœu de ne jamais retourner en Irlande.



Un christianisme aux pratiques originales, voire hérétiques



La force extraordinaire du christianisme irlandais est due tout d'abord à la très haute qualité d'un personnel sacerdotal qui avait hérité toutes les aptitudes intellectuelles des druides. Ensuite, elle est la conséquence de l'insularité de l'Irlande qui, jusqu'à la fin du VIIIe siècle, a été préservée de toute invasion et n'a pas été touchée par les bouleversements qui ont marqué la fin de l'Empire romain sur le continent et en Bretagne insulaire. Jusqu'aux premières incursions des Norvégiens à partir de 795 – sac d'Iona – l'Irlande a pu en paix cultiver ses deux cultures : chrétienne et classique, de langue latine ou grecque, et nationale, de langue gaélique. Non seulement les moines insulaires, par leurs écoles monastiques, ont maintenu la culture classique, mais ils ont exporté leur christianisme et ont essaimé dans toute l'Europe, créant partout des monastères comme Luxeuil, Saint-Gall ou Bobbio. Ils furent très nombreux à la cour de Charlemagne où on les recrutait volontiers comme professeurs parce qu'ils n'étaient pas exigeants pour leurs honoraires. Des noms comme ceux de Dicuil ou Scot Érigène restent assez connus pour qu'on n'ait pas besoin d'insister.



Dans ce contexte assez particulier, le christianisme celtique ne se différencie de celui du continent que par des détails qui, aujourd'hui, nous paraissent insignifiants mais qui, au haut Moyen Âge, étaient considérés par Rome comme autant d'hérésies. Précisons aussi que les relations entre les Irlandais et les Bretons de Grande-Bretagne ou de la Bretagne péninsulaire ont toujours été très étroites.



Le premier particularisme des chrétientés celtiques a été l'importance extrême de la vie monastique liée à un ascétisme exemplaire. Les pénitentiels irlandais sont de vrais catalogues de performances remarquables : rester huit jours les bras en croix dans l'eau glacée d'un torrent, jeûner pendant une longue durée – un mois ou deux – sans rien absorber hormis un peu d'eau, ou, plus scabreux, passer plusieurs nuits au côté d'une jeune fille et résister à la tentation.



Isolées à la pointe de l'Occident et souvent coupées du continent par les accidents de l'histoire, les chrétientés celtiques ont surtout conservé jusqu'à l'extrême limite des usages périmés ou abandonnés par l'Église romaine et auxquels elles restaient attachées, à la fois par routine et par ignorance des nouveaux usages.



Les controverses ont porté pendant très longtemps sur la date de la fête de Pâques, pour laquelle les insulaires ont maintenu le cycle de quatre-vingt-quatre ans qui faisait osciller la fête pascale entre le quatorzième et le vingtième jour de la lune et coïncider la Résurrection avec la Pâque juive lorsque le quatorzième jour tombait un dimanche. Malgré tous les efforts de la papauté, l'usage romain du cycle de dix-neuf ans ne fut adopté que très tard, au VIIIe siècle, en Irlande et au pays de Galles. En Bretagne, l'abbaye de Landévennec conserva le vieux comput jusqu'en 818.



Une autre source de dissensions a été la tonsure celtique obstinément gardée par les moines insulaires : la partie antérieure de la tête, en avant d'une ligne allant d'une oreille à l'autre, était complètement rasée alors que, en arrière de cette ligne, la chevelure était intacte. C'est cette tonsure que le célèbre saint Colomban de Luxeuil avait conservée en arrivant d'Irlande sur le continent. Peut-être était-elle d'origine druidique.



Plus grave était l'habitude des Celtes insulaires de conférer la consécration épiscopale par un seul évêque au lieu de trois. Et plus grave encore la coutume, attestée en Bretagne péninsulaire vers le VIe siècle, d'associer des femmes, sous le nom de conhospitae, à la célébration de la messe. Il ne semble pas que ce dernier abus ait perduré très longtemps.



L'Église d'Irlande devait devenir plus tard, et ce jusqu'au XIXe siècle, la protectrice naturelle des populations irlandaises maltraitées par l'occupation anglaise. Au pays de Galles, la Réforme a permis, au XVIe siècle, la traduction en gallois de la Bible et du Book of Common Prayer, fixant ainsi définitivement la langue. En Bretagne, l'Église a maintenu la langue comme moyen d'apostolat jusqu'au XXe siècle. Nous pouvons affirmer à bon droit que, dans des pays politiquement morcelés, où la langue elle-même est sujette à d'innombrables variations dialectales, le christianisme a été, et reste encore, le principal facteur d'unité. Les pèlerinages irlandais au « purgatoire » de saint Patrick, le circuit breton du Tro Breizh en l'honneur des sept saints fondateurs de la Bretagne le prouvent bien.



Il reste actuellement de tout cela un catholicisme très formaliste, très pointilleux sur les aspects extérieurs du culte et accessoirement, quelques traces des anciennes conceptions celtiques. En Bretagne en particulier subsistent la croyance très vivace aux Anaon – âmes des morts qui reviennent chez eux la nuit de la Toussaint – et la figure presque mythologique de l'Ankou – personnification de la Mort, armée de sa faux et venant chercher la nuit ses victimes.



Christian Guyonvarc'h

Février 2002

Copyright Clio 2006 - Tous droits réservés


http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/Les_chretientes_celtiques.asp



article bien court mais bien fait, il est amusant de constater que finalement, le milieu "celtique" médiéval a conservé longtemps un attachement au (alors) défunt empire romain, et pas seulement sur le plan religieux...
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Message par Seigneur Sven Jeu 18 Mai 2006 - 19:59

Pourtant il me semble que le christianisme Irlandais ne doit rien à l'empire romain.
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Message par  Jeu 18 Mai 2006 - 20:03

Seigneur Sven a écrit:Pourtant il me semble que le christianisme Irlandais ne doit rien à l'empire romain.

Mais l'auteur dit la même chose que toi.
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Message par Necrowarrior Jeu 18 Mai 2006 - 20:19

Seigneur Sven a écrit:Pourtant il me semble que le christianisme Irlandais ne doit rien à l'empire romain.


effectivement, l'irlande n'a pas été romanisée, mais la (grande-)bretagne si, et justement St Patrick est d'origine Bretonne.



Je faisais surtout remarquer que la (grande-)bretagne avait gardé certains aspects de l'orthodoxie chrétienne, et également un certain attachement à l'empire romain, d'un point de vue militaire, alors que justement l'empire romain déclinait.
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Message par  Jeu 18 Mai 2006 - 21:33

Les Irlandais à la différence de la Grande Bretagne n'ont jamais été une colonie romaine.
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Message par Seigneur Sven Jeu 18 Mai 2006 - 22:56

Mormegil a écrit:
Seigneur Sven a écrit:Pourtant il me semble que le christianisme Irlandais ne doit rien à l'empire romain.

Mais l'auteur dit la même chose que toi.

Je répondais à necrowarrior.
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Message par Seigneur Sven Jeu 18 Mai 2006 - 22:58

Mormegil a écrit:Les Irlandais à la différence de la Grande Bretagne n'ont jamais été une colonie romaine.

Oui voila, c'est ce que je voulais dire. Les moines irlandais sont d'abord et avant tout des religieux qui ont voulu s'isoler sur une terre presque vierge d'homme pour accèder à la pureté. Ils n'ont pas été introduit par les romains.



Je dois avouer que j'ai survolé le texte, en ce moment je suis en speed.
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Message par Necrowarrior Ven 19 Mai 2006 - 6:56

plus de détails sur le christianisme celtique.


Christianisme orthodoxe et chrétienté celtique



En Bretagne comme ailleurs, l’évocation d’une chrétienté celtique suscite généralement le doute, l’ironie, voire la suspicion. Il est cependant de plus en plus fréquent de l’entendre évoquer, tant au travers de nombreuses publications que de démarches d’intérêt personnel ou communautaire comme la Fraternité Orthodoxe Sainte Anne.

Cette méconnaissance d’une des traditions chrétiennes les plus authentiques, le désintérêt de nos contemporains pour les racines à la fois vivantes et vivifiantes de l’Occident spirituel, la non-reconnaissance de l’histoire et des cultures celtes sont autant d’obstacles qu’il convient de lever. Ignorée de Bretons contemporains, la chrétienté celtique ne pouvait que l’être des orthodoxes russes ou grecs. Il y a même, pour certains, quelque outrecuidance à rapprocher chrétienté celtique et orthodoxie, et pourtant ce n’est que simple bon sens.

Racines orthodoxes de la chrétienté celtique

II n’y eut jamais de chrétienté celtique qu’orthodoxe, et son éradication au XIIe siècle par le siège romain correspond au triomphe de l’hétérodoxie en Occident qui eut des répercussions aussi bien sur la vie spirituelle, théologique et canonique, que sur la philosophie, l’architecture, les arts et tout ce qui concerne l’âme de l'Occident médiéval.



En ce qui concerne les origines orthodoxes de la Celtie chrétienne du premier millénaire, un certain nombre de faits méritent d’être évoqués :



a) La caractéristique fondamentale de la civilisation celtique, contrairement aux civilisations gréco-romaine ou germanique, est la primauté du religieux sur le politique, de l’autorité spirituelle sur le pouvoir temporel, différence qui suffit à elle seule à expliquer « tout le reste ».



b) L’avènement du christianisme dans les pays celtiques non romanisés, c’est-à-dire les Iles britanniques et l’Irlande, s’est réalisé de façon exceptionnellement symbiotique.



Les élites spirituelles s’étant rapidement converties, il n’y eut que très peu de martyrs aux origines de ces églises. En revanche, les druides, bardes ou filid devenus de grands moines sont en quantité (saint Hervé en Armorique par exemple). Il apparaît que l’évolution culturelle de la civilisation celtique s’est effectuée par le christianisme sans rupture, de telle sorte que l’on assiste à une véritable transmutation de la culture celtique pré chrétienne. Ainsi, tout ce que nous connaissons du cycle épique breton et irlandais pré chrétien nous est parvenu grâce aux écrits monastiques.



c) Les Eglises celtes ont eu un caractère monastique très marqué. La Bretagne insulaire et surtout l’Irlande, préservée de l’influence romaine et de la menace germanique, engendrèrent une floraison monastique comparable à l’Egypte, la Palestine ou la Syrie des Ve et VIe siècles. Ces monastères-évêchés, qui structurèrent véritablement la société, méritèrent à l’Irlande le surnom d’Ile des Saints. Ils furent le creuset de la culture spirituelle des Celtes à leur crépuscule, donnant le jour à des œuvres d’une qualité artistique inégalée dans l’Occident des « temps obscurs ». Ils furent aussi le foyer rayonnant d’un renouveau pour tout l’Occident carolingien culturellement exsangue après les Invasions.

d) Jamais le lien entre l’Orient et cet extrême Occident ne furent rompus tant qu’il y eut une chrétienté celtique autonome. Les recherches contemporaines justifient de plus en plus certaines particularités celtiques par la vieille route commerciale de l’étain qui pénètre l’Irlande par le Munster, centre du renouveau ascétique du VIIe siècle. L’expansion musulmane mit fin à ce lien, ce qui explique notamment l’isolement des chrétientés celtiques par rapport au monde latin du fait des invasions barbares.



e) Ainsi, à l’heure où l’Occident latin et germanique paraphrase Augustin et le droit romain, les moines d’Hibernie lisent Platon, Plotin, Origène, Evagre et les Cappadociens dans le texte jusqu’aux grandes controverses théologiques des Xe et XIe siècles où l’école scottique est la dernière à s’inscrire dans une perspective patristique quant aux mystères fondamentaux de la foi, étant probablement la seule dépositaire d’une tradition ininterrompue de lecture des Pères grecs. On est frappé du caractère juridique de la théologie latine de cette époque par rapport à l’ambition métaphysique d’un Scott Erigène, mais aussi d’un saint Bernard et de ses disciples, qui sont les héritiers directs de cette transmission des Pères par l’Irlande, et peut-être les derniers feux de l’Orthodoxie en Occident avant l’ère scolastique.



f) Faute de pouvoir reprocher aux Celtes une quelconque hétérodoxie, Rome n’aura de cesse de les éradiquer par le biais politique dont les Saxons en Bretagne, les Francs en Armorique et les Normands en Irlande seront les instruments privilégiés.



Il est intéressant de remarquer que les causes évoquées pour jeter méthodiquement le discrédit sur les chrétientés celtiques (et ceci jusqu’au XIXe siècle) sont fort peu éloignées de celles qui sont utilisées dans les controverses avec l’Orient chrétien.



En résumé, on peut dire que les représentants de ces chrétientés éprouvaient une réticence globale à suivre le mouvement de confusion entre le spirituel et le temporel amorcé par les réformes de Grégoire le Grand qui aboutit à une conception totalitaire de la primauté romaine et, pour finir, au schisme.





Caractères spécifiques des chrétientés celtiques



Les caractères communs à l’Orient et à l’extrême Occident ne s’arrêtent pas à l’histoire, ils sont constitutifs et intrinsèques. Pour aller plus loin, il convient d’évoquer quelques-uns des traits spécifiques de ces chrétientés :



a) Parmi ceux-ci, l’intuition trinitaire est à la base de toute la tradition celtique, depuis ses origines les plus lointaines.

La triade est en effet la clef de voûte du système religieux celte et se reflète dans tous les aspects de leur vie politique et sociale. Cette structure trinitaire de la théologie des anciens Celtes facilitera la pénétration de la foi nouvelle. Quelques siècles plus tard, Erigène qui traduisit l’Aréopagite vers 860, défendra les formules des Grecs sur la procession du Saint Esprit dans son « De Divisione ». Si les Celtes ne semblent guère séduits par la tendance essentialiste des Latins qui conduira au schisme par l’addition du filioque, c’est peut être parce que leur piété particulièrement trinitaire, telle qu’elle ressort des quelques textes que nous possédons, était demeurée le support vécu d’un authentique personnalisme théologique.



b) La transparence du créé et de l’incréé. Un des traits constitutifs de la tradition celtique est le sens aigu de la "gloire de Dieu cachée dans les êtres". II ressort particulièrement dans les vies des saints, surtout les plus anciennes, comme la « Vita Columbani » (VIIe siècle), exemplaire à ce titre.



Or, une telle valorisation du créé dépouillée de toute idolâtrie, cette école de contemplation du monde comme théophanie, cette importance du symbole qui ouvre le sensible sur le verbe spirituel du monde, tout cela constitue l’un des axes de l’Orient patristique.



De l’Aréopagite à saint Maxime, de saint Isaac à saint Grégoire de Nysse, nous retrouvons cette tradition, qui s’épanouit aussi bien dans l’art théophanique de l’Orient que dans les grandes synthèses théologiques d’un saint Maxime sur le logos des créatures ou, bien plus tard, de saint Grégoire Palamas sur l’infusion du créé par les énergies incréées de la Divinité. A rebours de cette tradition, la pensée augustinienne, surtout dans son interprétation scolastique, va opérer un divorce définitif entre l’âme et le monde ainsi qu’entre la grâce et la nature.



c) Le rapport entre nature et grâce, cette pierre d’achoppement entre l’Orient byzantin et l’Occident latin dans l’ordre ontologique, se retrouve à propos du rapport entre liberté et grâce dans l’ordre sotériologique.

Dès le VIe siècle, l’augustinisme maximalisé devient la doctrine romaine officielle, bien qu’une majeure partie du monachisme gaulois, demeuré en liaison étroite avec les moines d’Orient, comme saint Jean Cassien, saint Vincent de Lérins et beaucoup d’autres, continue de professer la doctrine commune à tout l’Orient sur la relation entre notre nature créée libre et la grâce de l’illumination. Rejetant le platonisme spiritualiste d’Augustin, Cassien affirme au contraire la corporéité de l’âme (et donc l’importance de l’ascèse), la primauté de l’illumination mystique sur la contemplation intellectuelle, et surtout le caractère souverain de la liberté humaine dans l’œuvre du salut. Cette conception, traditionnelle en Orient, qui place la liberté personnelle à parité avec la grâce, sera développée par saint Grégoire de Nysse sous le nom de synergie, comme la doctrine des Eglises d’Orient.



En Occident, les écrits de Cassien et de ses disciples seront condamnés, malgré la sainteté reconnue de leurs auteurs, au concile d’Orange de 529, comme semi-pélagiens. Ce choix de l’Eglise latine sera fondamental quant à l’évolution de toute la pensée occidentale par la suite, préparant le triomphe du thomisme et de l’averroïsme au XIIIe siècle.

Or, là encore, les Eglises d’Irlande et de Bretagne prirent fait et cause pour la doctrine de la synergie, à tel point qu’on les retrouve accusées de semi-pélagianisme sous Grégoire le Grand.



d) Un bref survol des principaux aspects communs à l’Orient et aux Celtes chrétiens serait inachevé sans une évocation du thème de l’épectase. Celui-ci est longuement développé par saint Grégoire de Nysse dans la Vie de Moïse qui est une lecture spirituelle du livre de l’Exode.

Ce thème, traditionnel en Orient où il apparaît déjà chez Philon et Origène, considère la plénitude du Royaume comme une migration dynamique "de gloire en gloire", un exode infini de l’âme en Dieu infini. Dieu se donne infiniment à l’âme dont la participation à la divinité ne saurait elle-même être limitée, dès lors que nous serons "semblables à Lui".

Mystique dynamique, cette représentation du Royaume est loin de l’imaginaire de l’Occident latin médiéval, pour lequel le paradis est souvent figé dans la rétribution des mérites et la contemplation statique du trône divin.

Elle trouve paradoxalement un écho en Irlande des VIe et VIIe siècles avec le récit de la navigation de Saint Brendan. Abbé d’un monastère des côtes irlandaises, celui-ci entreprend avec douze de ses moines un voyage à la recherche du paradis. De merveille en merveille, cette odyssée chrétienne conduira saint Brendan vers l’éternité dans une navigation sans fin, figure de son propre exode intérieur. Ce récit irlandais, dont les versions abondent, fut dûment commenté tout au long du Moyen-Age ainsi qu’à l’époque moderne. Ici encore, il n’est pas interdit d’y trouver une conception "initiatique" de la destinée de l’âme, se rapprochant de l’épectase chère aux commentaires orientaux de l’Exode.

Conclusion





Ce rapide aperçu des caractéristiques communes aux deux traditions ne prétend pas établir entre elles un rapport d’équivalence. En effet, la tradition de l’Orient chrétien est aujourd’hui la tradition vivante de l’Eglise alors que la tradition celtique est une tradition ecclésiale éradiquée aux environs du XIIe siècle, et notre propos n’est pas ici de la ressusciter artificiellement.

Certes, nombre de ses aspects ont plus ou moins perduré dans les cultures populaires des pays celtiques, mais celles-ci sont aujourd’hui peu à peu absorbées et dissoutes dans le grand chaudron positiviste contemporain. Ces quelques lignes voudraient simplement contribuer à restituer la parenté foncière qui exista entre deux réalités anachroniques et heureusement transchroniques, la Celtie et l’Orthodoxie, dont nous vivons la rencontre après huit siècles d’histoire manquée.

Ainsi, de même que la Vérité de Dieu nous rend toujours notre vérité d’hommes, la Tradition à laquelle l’Esprit nous greffe nous rend-elle à l’esprit de notre tradition d’hommes.



Diacre Maxime le Diraison

http://la-france-orthodoxe.net/fr/eglise/celte

(ces deux liens ont été récupérés sur le forum de l'Arbre Celtique)
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Message par  Ven 19 Mai 2006 - 11:48

Bonne idée, Necrow que d'avoir posté ces textes, très intéressants en effet pour mieux comprendre la spécificité de la culture religieuse irlandaise, et cet aspect "hybride" (à la fois païen et chrétien) que l'on retrouve dans de nombreuses vies de saints et légendes.
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