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Liens entre esthétique celtique et sensibilité postmoderne

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Message par  Dim 31 Juil 2005 - 2:40

Des affinités entre une esthétique celtique et une sensibilité postmoderne



Par Isabelle Bidou Docteur de l'Université de Perpignan en Sociologie sur Le celtisme Ouest européen entre polarisations et sédimentations sémantiques, du nationalisme irlandophile galicien au néo-archaïsme postmoderne.



Extraits :



Le concept de postmodernité est le pivot du raisonnement qui me permet de démontrer que la celtomanie des érudits locaux et des nationalistes, de la mode contemporaine celtique est un phénomène global de réaction de la non-raison, face à l'omnipotence de la raison.



On ne peut comprendre le concept de postmodernité sans interroger celui de modernité puisqu'il s'exprime essentiellement par opposition aux valeurs de la modernité. Quelles sont les valeurs de la modernité? On peut voir dans la modernité une interprétation de la philosophie des lumières dans laquelle la raison associée à la science trouverait son aboutissement dans les valeurs du mythe du progrès telles que l'efficacité, la fiabilité, le travail, la discipline... et se matérialisait dans la révolution industrielle et tous les changements qui l'accompagnent, comme l'urbanisation, la société poly-segmentaire, la création de l'Etat-nation...

Selon Muchembled, par la civilisation des moeurs et la soumission des corps et des âmes, l'être humain naguère spontané et imprévisible a été préparé à devenir un "homme moderne" (Muchembled, 1988) sachant se maîtriser. La modernité a fait de l'être humain un être capable de soumettre ses impulsions et passions au contrôle de la raison;
il est donc devenu un être prévisible sachant reporter la satisfaction. Cela l'a rendu manipulable, non seulement d'un point de vue du travail et de la production mais également d'un point de vue politique.



Par ailleurs, la modernité est également la mobilité et l'accès à l'information qui permet une remise en question de la religion. La société moderne n'accorde plus la même place à la religion que la société traditionnelle. Il faut bien distinguer dans ce que l'on appelle religion ce qui ressort du langage courant et qui évoque les grandes religions monothéistes et même polythéistes qui sont en tout cas reconnues en tant que telles, de ce que Piette (1993) appelle religiosité et qui s'applique aux domaines non traditionnellement compris dans la religion. Il s'agit en fait d'un déplacement de la sacralité (Rivière et Piette, 1990) vers d'autres objets;
ainsi, il est question de religiosité à propos des sports, des arts et du spectacle...(Morin, 1962). Au niveau du politique, la perte de repères, de certitudes religieuses entraîne la nécessité de repères et de certitudes dans le domaine de l'idéologie.



La modernité se définit par rapport à la société traditionnelle, segmentaire, faite de réseaux de solidarités de proximité, dans laquelle le temps rythmé par les saisons est cyclique. Le temps de la modernité est marqué par la croyance au progrès, il ne s'agit plus d'un temps marqué par un "retour" régulier tendant à la permanence et à la continuité mais d'un temps linéaire tendant vers le futur.

La postmodernité peut se définir comme une rupture par rapport à la modernité;
la modernité est née du pari sur la raison et le progrès;
la postmodernité les remet en question et ne leur voue plus une confiance aveugle. La postmodernité se définit par rapport à la modernité par la remise en question de ses valeurs fondamentales.

Le "post" de postmodernité ne doit pas s'interpréter comme situant la postmodernité d'un point de vue simplement diachronique, par rapport à la modernité. L'interprétation de la postmodernité ne peut pas se réduire à un découpage en une période historique ultérieure à la modernité;
la postmodernité se définit par rapport à la modernité par la remise en question de ses valeurs fondamentales que sont la raison et le progrès. Il s'agit donc plus d'un dépassement qui se repère non pas dans le temps mais dans les idées.

Ainsi, on peut parfaitement admettre que les gens de lettres romantiques sont un peu des précurseurs des postmodernes en ce sens qu'ils valorisaient le monde rural et sauvage qu'ils trouvaient naturel, propre et paisible par rapport au monde urbain et civilisé qu'ils trouvaient artificiel, sale et bruyant. Chapman fait d'ailleurs remarquer qu'ils n'ont fait qu'inverser le système de valeurs qui avait cours chez les intellectuels du XVIIIème siècle (Chapman, 1992, p.129).



La qualité de postmoderne s'applique en fait à ce qui est en rupture par rapport à la modernité;
cela implique une digestion, une assimilation puis un rejet des valeurs modernes. Assez paradoxalement, ne peut être postmoderne que celui qui est moderne. La postmodernité n'est pas un retour à la tradition, même si cela peut apparaître dans son discours;
le traditionnel ignore les valeurs modernes et ne peut être postmoderne;
on ne peut pas passer directement du traditionnel au postmoderne. Il faut avoir assimilé les valeurs modernes pour pouvoir les rejeter: le postmoderne est un moderne révolté.

Lors de mes travaux de troisième cycle, je me suis abondamment inspirée des travaux du Ceaq et plus particulièrement de ceux de Michel Maffesoli sur la socialité postmoderne. Je me suis livrée à une confrontation d'un certain nombre de notions avec les résultats de mes recherches;
ces notions m'ont, en fait, servi à interroger mon objet d'étude. Cela m'a permis de mieux comprendre l'objet de mes recherches dans son ensemble et de lier des phénomènes entre eux en faisant apparaître comment ils s'articulaient les uns aux autres. J'ai pu mettre de l'ordre dans les divers maillons de mon argumentation en discernant avec plus de netteté les articulations que je posais jusqu'alors de façon moins précise et parfois intuitive

L'image de l'habitant des périphéries celtiques s'est construite par opposition à celle du parfait homme moderne. Le travail, l'efficacité, le sérieux, la discipline, la fiabilité... de l'homme moderne lui permettent de "progresser";
par opposition, le retard du Celte est dû au fait qu'il soit fainéant, inefficace, pas sérieux, indiscipliné et imprévisible.



Si l'homme moderne sacralise le progrès, le Celte sacralise son "arché" qui se manifeste par le culte du passé, le culte des Martyrs et l'obsession de la "continuité". Au progrès et son élan vers le futur il préfère la "régrédiance" (terme de Maffesoli pour évoquer la régression sans ses connotations péjoratives, expression employée lors de la Conférence intitulée "Tragique et le retour de l'archaïque", Perpignan, décembre 2000) et son attachement au passé. Si l'homme moderne valorise l'assimilation unificatrice dans l'Etat-nation, le "Celte" valorise l'unicité fédératrice au niveau national et même plutôt supranational.

Ainsi l'intemporel, la continuité a joué un rôle très important dans l'éveil de la conscience politique attachée à l'archaïsme des traditions populaires locales dans les périphéries celtiques, ce qui est tout à fait dans l'esprit postmoderne tel qu'il se manifeste dans la société contemporaine. En fait, je crois que l'on peut dire que cette obsession pour la continuité celtique et cette mythologie de la lutte contre le temps qui passe, correspondait particulièrement bien aux aspirations postmodernes et que c'est une des principales raisons du succès de la mode celtique contemporaine.

Le celtisme implique un certain enracinement dans le passé, un élan centrifuge, une certaine proximité avec la nature. Toutes ces raisons ne font que confirmer la positon du Celte dans la polarité postmoderne et font de lui un modèle alternatif à la modernité





Les romantiques tendaient à valoriser le monde rural et sauvage par rapport au monde urbain corrompu par la civilisation (Chapman, 1992, p. 129). J'ai montré dans ma thèse que la celtomanie était très liée à l'esthétique romantique. Arnold et Renan ont insisté sur la tendance des Celtes à adorer la nature et à la célébrer par la poésie (voir Sims Williams, 1996, p. 118 sq.). Dans le contexte culturel irlandais s'est installée selon Sims Williams, une opposition symbolique entre le rapport à la nature des protestants qui est la nature domestiquée donc dénaturée quand celle des catholiques est sauvage donc authentique. Cette adoration et cette inspiration lyrique semblent s'être transformées en écologisme chez le Celte contemporain;
les méfaits de la civilisation moderne dus à l'industrialisation, à la pollution ou au fait que la recherche d'un rendement toujours supérieur en matière d'agriculture ou de production forestière se fasse au détriment de l'équilibre écologique, sont bien souvent évoqués dans les périphéries celtiques et particulièrement dans des contextes celtophiles.

En pays celtiques comme ailleurs, la préservation du patrimoine écologique tend à éveiller les mêmes passions que celle du patrimoine linguistique ou identitaire. Cependant, du fait qu'ils font partie d'un même mythe de la "perfection des commencements", les soucis de préservation du patrimoine identitaire et écologique sont sans doute plus vifs dans les périphéries celtiques qui correspondent aux zones de familles souche, si on se réfère aux travaux de Todd sur les structures familiales. Je fais ici allusion à sa théorie quant à la propension des idéologies dites "vertes" et "grises" de se développer en zones de familles souches qui accordent une importance toute particulière à la permanence, la continuité, l'inchangé qui sont autant de remparts contre la corruption de la "cité idéale" (Todd, 1990, p. 599 sq.).



V. Alternative et postmodernité



Quand l'industrialisation a cessé d'être la panacée et qu'au contraire elle devient un facteur d'aliénation, d'individualisme et de pollution, l'Autre animal qui était du côté de la nature devient le "bon sauvage";
c'est alors qu'altérité se décline avec alternative. L'idéal romantique se détourne de l'industrie, du progrès et de la ville et valorise la nature, le passé, les traditions populaires et la campagne en se tournant vers le Celte. Le celtisme se construit pendant la modernité en réaction à la modernité, et le Celte devient le champion de la post-modernité.

Kiberd, qui a très amplement étudié le phénomène de construction et d'affirmation identitaire à la lumière de ce que j'appellerais la "dynamique antagoniste" dans le domaine de la littérature, soutient que les Anglais ont autant contribué à l'invention de l'Irlande que les Allemands ont contribué à celle de la France et que si l'Irlande n'avait pas existé, les Anglais l'auraient inventé (Kiberd, 1996, p. 1 et 9). Le Celte semble avoir été un outil de construction de l'image du "non-Celte" pendant toute la modernité. Le Celte en étant l'"Autre", permettait au "non-Celte" de décliner son identité en construisant son image par rapport à celle qu'il avait construite du Celte. Chacun construit toujours sa propre image en fonction de celle de l'autre;
dans les périphéries celtiques, le celte en position minoritaire devient l'autre par excellence que le non-Celte, en position majoritaire, est en position de nommer en premier et de prêter à l'autre des qualités qu'il rejette chez lui-même. Le Celte a été l'ombre dont le "non-Celte" avait besoin pour briller. Par acculturation antagoniste (Devereux., 1972, p.203-231), les deux groupes tendent à creuser et accentuer ce qui les sépare et le groupe en position minoritaire tend à se soumettre à l'image stéréotypique que le groupe majoritaire a commencé à donner de lui (Le Coadic, 1998).

Une nouvelle image positive du Celte va nourrir les discours des régionalismes et micro-nationalismes du XIXème et du début du XXème siècle: le Celte devient cet ancêtre fort et courageux, amoureux de la liberté. Fidèle à son image positive, on le retrouve à l'honneur dans les années 1970 et "à la mode" au tournant du millénaire. L'avènement de la postmodernité change les données, la nouvelle image positive du Celte lui confère une position exemplaire.

Ainsi, l'image du Celte s'est construite par rapport à l'image du "non-Celte" suivant un processus de soumission qui participe aux phénomènes d'identifications identitaires dans les diverses nations ou micro-nations qui se dessinaient dans l'ouest-européen. C'est pour toutes ces raisons qu'il deviendra un modèle alternatif à la postmodernité.



Bidou, Isabelle. "Des affinités entre une esthétique celtique et une sensibilité postmoderne", Esprit critique, Été 2003, Vol.05, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet:

http://www.espritcritique.org/0503/esp0503article09.html
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Message par  Dim 31 Juil 2005 - 10:20

Merci Nirnaeth pour ce texte ma foi fort intéressant. A défaut de nous apprendre vraiment quelque chose, il a le mérite d'appraufondir très justement certaines notions.
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Message par Necrowarrior Dim 31 Juil 2005 - 11:46

effectivement, Il frotte beaucoup en surface, mais ne va malheureusement pas beaucoup plus loin. Une bonne mise en bouche quoi... J'ai commencé un texte un peu sur le même sujet "le celte imaginaire", qui, quand il sera fini, expliquera d'une manière plus complète la "celtitude".



Sinon, si je comprend bien, pour les sociologues, une grosse partie du BM serait post-moderne?
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