A FOREST OF STARS

Rien que le nom du groupe éveille déjà la curiosité. L’amalgame de la forêt et des étoiles est curieux et pousse à la rêverie, surtout lorsque l’on sait qu’il s’agit aussi du titre du second volume de la saga de Science-Fiction La Saga Des Sept Soleils, de l’auteur américain Kevin J. Anderson. Mais c’est la désignation même du style musical pratiqué qui pousse à la découverte : du Black Metal psychédélique. Auparavant, je n’avais vu qu’un seul groupe désigné ainsi, les norvégiens de Grand Alchemist, qui, certes, pratiquaient un Black avec quelques éléments psyché’, mais n’approfondissaient pas cet intéressant mélange, et restaient donc un clone un peu amélioré du Dimmu Borgir moderne. A Forest Of Stars, en plus de mélanger des genres assez antinomiques évoquant d’un côté de féroces sabbats païens dans des forêts séculaires et de l’autre un quelconque rassemblement hippie dans une douce clairière, est anglais. L’Angleterre, pays que l’on avait cru perdu pour la cause du Métal Extrême intelligent, car n’ayant pas pu enfanter de nouveau groupe majeur depuis Anaal Nathrakh (et encore…).



L’intro de l’album est assez curieuse, mélangeant guitares saturées et violon, dans un ensemble rappelant, dans le fond plus que dans la forme, la période EP de My Dying Bride. Les guitares restent toutefois bien plus saturées que celles des corbeaux du Yorkshire, même à leurs débuts, ancrant fermement la base musicale de A Forest Of Stars dans le Black Metal lent tel que créé par Burzum. Le grand intérêt, je devrais même dire l’atout majeur du groupe, c’est cette incroyable capacité à mélanger des styles à priori assez antinomiques. Ainsi God démarre sur un style très Filosofem pour partir dans des accélérations plus War, pour garder la filiation Burzum (clairement assumée dans les cris), et revenant d’un coup à un style clairement inspiré de la musique baroque, flûte comprise, le tout soutenu par des claviers clairement spatiaux. Et la longueur des morceaux (le moins long fait 9 minutes) permet de mieux apprécier la délicate cuisine pratiquée par le groupe.



Ce curieux mélange me fit, dès la première écoute, immédiatement penser à un autre groupe anglais à la fois très sinistre et avant-gardiste musicalement, tout en développant une thématique byronienne identique : Ebonylake. Si ce peu connu groupe était plus dans une ambiance Gothique que Black Metal, il n’en évoquait pas moins les mêmes visions cauchemardesques issues de l’esprit d’un fumeur d’opium que A Forest Of Stars. C’est quelque part là que se situe A Forest Of Stars, essayant eux aussi à leur manière, à travers la musique, de recréer les perceptions sensorielles distordues que provoquent l’ingestion de divers hallucinogènes. Curieusement, en plus des perceptions déformées et d’hallucinations tant visuelles que sonores, le psychédélisme se caractérise aussi par un profond sentiment d’euphorie et/ou de désespoir, chose que le quatuor anglais retranscrit parfaitement. A Forest Of Stars est donc un groupe expérimental, dans l’acceptation complète du terme, et qui ne s’en cache pas, n’hésitant pas à faire débuter un morceau violent par une poignante mélopée pour piano et violon (Female). Le groupe se permet même de tutoyer le Black/Doom, genre casse-gueule s’il en est, au détour de merveilleuses parties en mid-tempo (Female, morceau de toute beauté renvoyant dos à dos avec intelligence le Deinonychus de Ark Of Thought et le Bethlehem de S.U.I.Z.I.D.) .





L’alternance particulièrement bien agencée des parties vocales masculines et féminines démontrent une fois de plus l’incroyable talent du groupe dans la création d’atmosphères à la fois sinistres, mélancoliques et nostalgiques (superbe intro de Male, mélangeant Cult Of Luna avec les débuts du Goth Rock). Pour un peu, on se croirait dans les délires les plus fous d’un Maupassant, d’un Poe ou d’un Byron. Il y a quelque chose de Lovecraftien dans la musique telle qu’elle est conçue et pratiquée par A Forest Of Stars, non pas dans l’aspect effrayant mais dans sa folie débridée. C’est encore plus vraie lorsque l’on lit les textes des chansons, petits bijoux de littérature superbement agencés, dont la mise en musique m’a immédiatement mis en tête une interprétation incroyable du poème Les Djinns, de Victor Hugo, à laquelle j’avais assisté il y a quelques années. On se sent, à la lecture de telles paroles et à l’écoute de leur mise en musique, au bord d’un abysse dont on n’est pas étonné qu’ensuite il nous regarde lui-même. Il est difficile de résumer en profondeur l’incroyable richesse musicale qui se dégage de ce qui est seulement un premier album, tant chaque morceau fourmille d’idées toutes plus folles et inventives les unes que les autres (les plans très Neurosis meets Godspeed You ! Black Emperor de Female, l’intro tribale au tambour de Earth And Matter, le final bluffant de Microcosm). Je n’avais pas été aussi agréablement surpris par un album se réclamant comme vaguement Black Metal depuis la très bonne démo des français de Smohalla, et A Forest Of Stars est diablement mieux produit. Maturité, intelligence, richesse musicale et lyrique, originalité dans la composition…Comme si Ved Buens Ende rencontrait Pelican, Bauhaus, Gong et Isis autour d’un verre d’absinthe pour discuter des mérites comparés de l’œuvre d’Edgar Allan Poe en version originale ou dans la traduction de Baudelaire.





The Corpse Of Delight est un régal d’esthète, un plaisir tant auditif que visuel, et l’annonce de la naissance d’un vrai grand groupe. Poussant et brisant en un seul disque plus de barrières qu’Arcturus, Solefald et Enslaved réunis, A Forest Of Stars s’impose tout simplement comme un grand groupe, et mérite tant la meilleure note que le soutien des Métalleux disposant d’un tant soit peu de culture autant que d’intelligence. N’est ce pas au final bien plus enrichissant pour l’esprit autant que l’âme qu’une troupe supplémentaire de gamins peinturlurés détruisant quelques tombes au nom d’un Diable qu’ils ne connaissent que par les films d’Horreur minables produits chaque année par Hollywood ? Dites moi, cela fait combien de mois, voire d'années que vous n'avez pas écouté quelque chose de réellement neuf dans le Black Metal?



6/6